Une trop courte escapade en Asie centrale : les splendeurs de l’Ouzbékistan sans vélo

Après 15 mois de voyage à vélo à travers l’Europe et l’Afrique, j’ai dû faire face à une épreuve inattendue : une forte douleur à l’épaule qui m’a contrainte à adapter mes projets. Profitant d’une escale à Istanbul, je consulte un médecin qui me diagnostique une tendinite et me prescrit des médicaments.

Après un passage éclair dans cette ville fascinante, qui mériterait bien plus de temps, je me suis dirigée vers l’Ouzbékistan, espérant que mon épaule se remettrait rapidement pour poursuivre mon aventure. Pourtant, en visitant les perles de la Route de la Soie, j’ai dû me résoudre, à contrecœur, à interrompre mon voyage à la veille de la partie que j’attendais tant.

Sur la rive du Bosphore

Istanbul : un aperçu en coup de vent

Après un vol de nuit épuisant depuis Cape Town, je débarque à Istanbul à 4h30 du matin pour une escale de 14 heures. Sans bagage à récupérer, je prends directement un taxi et m’installe dans une auberge pour grappiller quelques heures de sommeil avant de débuter ma journée. J’avais pris rendez-vous avec un orthopédiste sur la rive asiatique de la ville. Il me diagnostique une tendinite et me prescrit des médicaments pour soulager la douleur, mais il reste un peu flou. Il me recommande de consulter à mon retour à Paris pour des examens plus approfondis, tout en envisageant que je puisse reprendre mon voyage à vélo après le traitement.

Les couleurs du Grand bazar

Après cette consultation, je me lance dans une exploration express de la ville. Une erreur d’itinéraire m’entraîne sur les îles au sud du Bosphore, ce qui me fait perdre plusieurs heures tout en me faisant découvrir une pépite de cette mégapole. Une fois de retour sur la rive européenne, je fais le tour des incontournables : la place Taksim, la tour Galata, la Mosquée bleue et le Grand Bazar. Malheureusement, je ne peux admirer Sainte-Sophie que de l’extérieur, faute de temps. Istanbul, même en coup de vent, m’a profondément séduite. Je pars avec la ferme intention de revenir, mais cette fois, pour prendre le temps d’en découvrir toutes les facettes.

Sainte-Sophie

Samarcande : la perle de la Route de la Soie

Le lendemain, j’atterris à Samarcande, joyau de l’Ouzbékistan. Après une seconde nuit dans l’avion, la fatigue se fait sentir. Je me rends directement à mon auberge, où je déballe mon vélo. Je suis un peu dans le déni : je sais qu’une tendinite peut être longue à soigner, mais le médecin semblait croire que je pourrais de nouveau enfourcher Yolo après quelques jours de repos, alors j’y crois. Je découvre ensuite la ville à pied. Le Registan, ce gigantesque ensemble de médersas magnifiquement décorées, me coupe le souffle. Même si je ne fais que passer devant ce jour-là, je suis déjà éblouie par la finesse des mosaïques turquoise et les imposantes arches, témoins du glorieux passé de la Route de la Soie.

Le Régistan

Une immersion entre traditions et découvertes

J’ai passé quatre jours à explorer Samarcande en attendant de trouver une place dans le train pour Khiva, puis Boukhara. Cela m’a permis de me reposer et de découvrir les merveilles de la ville. Logée juste à côté du Registan, je passais devant plusieurs fois par jour, émerveillée par sa grandeur et sa beauté. Le soir, un spectacle de lumières projetées sur ses façades lui donnait encore une nouvelle dimension, transformant ce lieu historique en une scène féerique. Chaque médersa, jadis lieu d’apprentissage, abrite aujourd’hui des échoppes où se mêlent souvenirs et artisanat local. Habituellement, les achats de souvenirs sont proscrits quand je voyage à vélo. Mais cette fois, je ne résiste pas à l’achat d’un foulard, qui me servira d’écharpe pour mon bras fatigué.

A la nuit tombée, les locaux comme les touristes se retrouvent pour admirer le spectacle du Régistan illuminé

Le reste de mes journées est dédié aux autres trésors de la ville : le mausolée Gour Emir, impressionnant lieu de repos de Tamerlan, la mosquée Bibi Khanoum et son architecture imposante, sans oublier une pause au bazar Syob. Là, les étals débordent de fruits secs, de pains ronds dorés et de céramiques colorées.

Les jolies céramiques du bazar Syob

Quand le rêve de Pamir s’éloigne

Samarcande est un point de passage, de départ ou d’arrivée de tous les cyclos qui parcourent l’Asie centrale. J’étais contente de rencontrer de nombreux autres voyageurs, le soir autour d’un verre, de partager nos récits d’aventures plus folles les unes que les autres. Je fais notamment la connaissance de Tiphaine, une cycliste qui a traversé l’Afrique il y a quelques années. Ses récits résonnent avec mes propres souvenirs. Partager ces moments avec des inconnus, mais qui comprennent l’essence même de l’itinérance, est une bouffée d’oxygène. Cela me permettait de penser à autre chose qu’à mon retour précipité en France, qui devenait de plus en plus évident, même si je les enviais, à la veille de leur traversée de merveilleux continents.

En effet, alors que les jours passent, une évidence s’impose : ma tendinite ne me permettra pas de reprendre le vélo rapidement. La douleur persiste, même au repos, même le bras en écharpe. Les médicaments et la crème ne me soulagent pas. Mais faire le deuil de ce rêve d’Asie centrale à vélo est difficile, alors je ne me résous pas encore à acheter un billet d’avion retour. Je m’étais promis à moi-même que je ne terminerais pas ce voyage en avion, que s’il fallait je m’envolerais pour Bruxelles, Berlin ou Rome, pour terminer le voyage en douceur, à vélo. Je vais pourtant certainement y être contrainte, et ça m’attriste.

Et si j’achetais une voiture pour continuer mon périple?

Ça m’attriste d’autant plus que d’une certaine manière, ces 19 000 km parcourus à travers l’Europe et l’Afrique n’étaient qu’un « entraînement » pour affronter le Pamir. En effet, à l’origine de ce voyage à vélo, j’avais le rêve de parcourir à vélo la route du Pamir. Mais ça me semblait difficile, et j’ai voulu me préparer tranquillement en débutant mon voyage en Europe. Puis, quand je me suis lassée de l’Europe, j’ai décidé d’aller rouler en Afrique « en attendant » la bonne saison pour rouler en Asie centrale. Evidemment ces 15 mois de voyage étaient bien plus qu’un « entrainement », mais l’idée qu’il puisse s’interrompre si proche « du but », c’était rageant.

Je me réconforte en me disant que j’ai eu la chance de voyager 15 mois à vélo sans presque aucun problème de santé, je repense aux découvertes et aux rencontres incroyables que j’ai faites. Et même si ce n’est pas comme je l’avais imaginé, je savoure malgré tout l’opportunité de découvrir l’Ouzbékistan.

Gare de Khiva après une rude nuit dans le train

Alors que mon train de nuit pour Khiva m’attend, je ressens une certaine mélancolie en quittant Samarcande et je suis reconnaissante pour chaque instant passé dans cette ville intemporelle. Allongée sur la couchette étroite du train, je ressens des sentiments ambivalents. Me voilà redevenue « backpackeuse », ou voyageuse « en sac à dos », qui se déplace d’un site touristique à l’autre grâce aux transports en commun. J’ai adoré ce mode de voyage pendant mon tour du monde il y a 8 ans. Mais aujourd’hui, alors que j’ai découvert le voyage à vélo, ça me semble un peu fade, il manque quelque chose. Il manque les étapes intermédiaires entre ces sites touristiques et les rencontres inévitables que ce mode de voyage suscite.

De Khiva à Boukhara : la magie de l’Ouzbékistan se dévoile

Après Samarcande, je me dirige vers Khiva, une autre étape fascinante sur la route de la soie. Entre Khiva et Samarcande, le contraste est saisissant : si Samarcande brille par son faste et son ouverture, Khiva offre une immersion intimiste et presque hors du temps.

Khiva, ville étape de la Route de la soie

La vieille cité fortifiée de Khiva, entourée de hautes murailles, est une véritable carte postale. Les bâtiments en briques et les ruelles labyrinthiques invitent à se perdre dans un univers hors du temps. Munie d’un billet qui donne accès à la majorité des sites, je passe ma journée à entrer dans des médersas, des mosquées et des palais sans chercher à me repérer sur le plan, ce serait peine perdue.

Madrassah Mohammed Rakhim Khan
Vue sur la petite cité de Khiva

La chaleur accablante de la journée contraste avec la fraîcheur des édifices. Je profite de ma guest house typique au cœur de la ville pour faire des pauses aux heures les plus chaudes de la journée et ressortir à la tombée de la nuit. Depuis la tour de guet sur les murailles, je contemple le coucher de soleil. Alors que la lumière dorée du soir enveloppe la ville, Khiva se transforme alors en un décor féerique. Les bâtiments très joliment éclairés prennent une toute autre dimension.

Le minaret Kalta Minor

Les habitants de Khiva, chaleureux et curieux, m’interpellent souvent pour demander des nouvelles de mon bras en écharpe. Leur sollicitude, inattendue, est touchante.

Boukhara : une ville empreinte de sérénité et de charme

De Khiva, je prends un train pour Boukhara, une autre étape incontournable de l’Ouzbékistan. La chaleur étouffante de ce trajet en journée est une épreuve, mais l’arrivée dans cette ville au charme singulier, très différente de Samarcande ou Khiva, en vaut largement la peine.

Le grand dôme bleu de la Mosquée Poi Kalon

Je débute ma visite par une déambulation dans la ville, de monument en mosquée, et de mosquée en bazar. Je visite évidemment la citadelle emblématique de la ville. Celle-ci est encore largement en ruine et je ne lui ai pas trouvé grand intérêt, sauf ma rencontre avec Oulbek, un vendeur de souvenirs qui me dit avoir quelques enluminures à vendre, dans un autre lieu. Je le retrouve pour déjeuner, découvre ses jolies enluminures anciennes et profite de son très bon français pour en apprendre beaucoup sur la ville. Ses récits sur l’histoire locale et sa vision de la modernité en Ouzbékistan enrichissent ma perspective sur le pays.

Le minaret Kalon

En fin d’après-midi, j’ai décidé de m’offrir un moment de réconfort dans un hammam traditionnel. Seule cliente, je découvre un hammam historique magnifique fait de plusieurs salles en pierre voûtées autour d’une pièce centrale. Seule cliente, je m’en remets à la jeune femme chargée de s’occuper de moi qui ne parle pas anglais. Je serre d’abord un peu les dents lors du gommage énergique, avant de profiter pleinement de la sérénité que m’offre ce lieu incroyable lors du massage. Je quitte l’endroit apaisée, prête à savourer les derniers jours de mon voyage.

Guest house dans un ancien caravansérail

En fin d’après-midi, je retrouve la quiétude de la cour ombragée de ma guest house située dans un ancien caravansérail. Avant de quitter la ville, je me résous à acheter un billet d’avion pour Paris. C’est difficile, mais je n’ai pas le choix, je sais qu’il me faudra de longues semaines, voire des mois avant de retrouver une épaule capable d’affronter les montagnes du Pamir. J’ai bien envisagé de poursuivre le voyage sans vélo, mais ce n’est pas en bus ou en 4X4 que je souhaite explorer la région, et avec une épaule douloureuse, ce ne serait pas agréable de toute manière. C’est ainsi, je dois l’accepter, mon voyage à vélo s’est terminé à Cape Town.

Samarcande : derniers moments de découvertes avant le départ

Après avoir exploré les joyaux de l’Ouzbékistan, mes derniers jours à Samarcande sont marqués par une douce effervescence et une pointe de mélancolie. Mon épaule m’empêche de poursuivre mon voyage à vélo, mais je décide de profiter pleinement de cette fin de voyage avant de rentrer en France.

Je continue donc ma visite de Samarcande par une promenade à travers les ruelles pittoresques de la ville, poursuivant ma découverte des trésors architecturaux. J’admire la madrasa Chor-i-Arab, encore en activité, où seul le seuil de l’école est accessible aux visiteurs, Et je repasse, encore et encore sur la place du Régistan sans m’en lasser, avant de m’attaquer aux préparatifs du départ.

Nécropole de Chah e Zindeh

Mon retour à Paris : entre stress et nostalgie

Prendre l’avion avec un vélo est toujours stressant, entre le poids des bagages et l’incertitude de retrouver le vélo en bon état. Trouver les sacs et cartons pour emballer tout le matériel s’avère plus compliqué que prévu. Après quelques péripéties, j’arrive à tout caser, même si cela nécessite un peu d’ingéniosité. À l’aéroport, on m’annonce que le carton est trop lourd, mais après quelques négociations, tout s’arrange. Et lors de mon escale à Istanbul, je panique en constatant que mon vélo équipé d’un traceur n’est pas encore dans l’avion, mais quelques minutes avant l’embarquement, je vois qu’il a été chargé à bord. Soulagée, je continue mon voyage jusqu’à Paris.

À l’atterrissage à Paris, un sentiment étrange m’envahit. Personne pour m’accueillir, on est au cœur de l’été. Mais c’est mieux comme ça. Je gère mes émotions comme je peux. Ce retour sonne comme une fin de voyage, mais je préfère le voir comme une pause, et je vais tout faire pour qu’il en soit ainsi.

Ce voyage m’a offert bien plus que ce que j’aurais pu espérer : des paysages à couper le souffle, des rencontres riches de sens et des souvenirs impérissables. Si la tendinite m’a contrainte à revoir mes plans, elle m’a aussi permis de prendre du recul sur ce chemin parcouru et la chance que j’ai eue de vivre toutes ces aventures. Et je me fais la promesse de revenir, dès que possible, pour reprendre la route à vélo, plus forte. En attendant, je suis profondément reconnaissante pour tous ces moments vécus, ces rencontres et ces découvertes, qui, malgré tout, m’ont permis de repousser mes limites et de voir le monde différemment.

Si Paris m’aime, tout va bien !

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