=> du 3 au 7 septembre 2023
Je ne prends généralement pas le temps de me renseigner sur les pays que je traverse avant d’y arriver. Mais Kaliningrad, cette toute petite enclave russe entre la Lituanie et la Pologne, a suscité chez moi un peu plus de curiosité que d’habitude. J’ai donc commencé à me renseigner quelques jours avant mon arrivée, ce qui était une bonne idée car voyager en Russie en 2023 réserve de nombreuses surprises.
Pour autant, et même si je n’ai passé que 4 jours dans la région de Kaliningrad, ces 4 jours étaient très riches et intenses et valaient vraiment la peine de dépasser les quelques contraintes que nécessitent l’organisation de ce genre de périple.
Préparer son entrée sur le territoire russe
Obtenir un visa pour entrer sur le territoire russe a longtemps été très compliqué. J’en avais fait l’expérience lors de mon voyage autour du monde en 2015. Il fallait alors obtenir une « lettre d’invitation » auprès d’une agence agrémentée, donner son itinéraire et réserver les hôtels à l’avance notamment, puis présenter son dossier à l’ambassade et croiser les doigts. Depuis quelques années, la Russie a mis en place un E-visa, d’abord gratuit, il est devenu payant depuis la réouverture post-Covid.
Ce visa a le mérite d’être beaucoup plus simple à obtenir puisque tout se fait en ligne, mais il m’a tout de même fallu m’y reprendre à plusieurs fois et y passer au moins deux heures au total ! Cependant ce E-visa ne permet que d’entrer et de sortir de Russie par certains postes frontières limitativement énumérés sur leur site, notamment pour se rendre à Kaliningrad, Saint-Pétersbourg et Moscou. Pour les autres destinations, c’est l’ancienne méthode qui prévaut.
Une fois cette formalité accomplie, j’ai cherché en ligne quelques informations récentes sur le tourisme en Russie pour savoir s’il fallait que je me prépare à quelque chose de spécial au regard de la situation actuelle. Quelle bonne idée ! J’ai découvert au détour de la consultation du site internet d’une agence spécialisée que les cartes bancaires Visa et Mastercard ne fonctionnent plus en territoire russe depuis le début de la guerre en Ukraine. J’étais donc à deux doigts de me retrouver à Kaliningrad sans pouvoir payer par carte ni retirer de l’argent. Cela m’aurait laissé pour seule option de faire demi-tour pour retourner en Lituanie sans possibilité de revenir puisque le E-visa n’est valable que pour une seule entrée dans le pays !
Je n’étais pas au bout de mes surprises. J’avais contacté Elena via le réseau Warmshowers, séduite par la description de son profil très avenant. Elle m’a très gentiment proposé de m’accueillir chez elle pour 3 nuits puis m’a interrogée sur mes projets et mon passage de frontière, tout en m’indiquant que je n’avais pas le choix, je devrai passer par la ville de Sovietsk, puisque c’était le seul poste-frontière ouvert. Surprise, je lui ai alors expliqué envisager d’entrer par celui de Nida, qui se situe au milieu de l’Isthme de Courlande, listé sur le site officiel de demande de visa. Mais Elena m’a assuré que celui-ci n’avait pas réouvert depuis la fin de la crise Covid et qu’il n’était probablement pas près de l’être, ce que j’ai pu constater sur place quelques jours plus tard en m’y rendant par curiosité.
Elena m’a également donné le contact d’un de ses amis, Konstantin, lui aussi cycliste présent sur le réseau Warmshowers, qui est originaire de Kaliningrad mais habite désormais à Vilnius. Nous avons partagé un dîner en terrasse et, au-delà des quelques conseils supplémentaires qu’il a pu me donner, Konstantin m’a indiqué que le poste frontière de Sovietsk était réservé aux piétons. Il se trouve qu’il prévoyait lui-même de traverser cette frontière le lendemain pour rendre visite à sa famille, il en a donc profité pour s’assurer que je serai autorisée à la passer à vélo deux jours plus tard. Quelle expédition !
Tenant compte de toutes ces contraintes, j’ai d’abord tiré quelques centaines d’euros pour faire face aux dépenses sur place, mais aussi aux éventuels imprévus. Puis j’ai fait le plein de courses pour deux jours car, entrant en Russie un dimanche, je savais que je ne pourrai pas changer d’argent avant d’arriver dans la ville de Kaliningrad le lundi soir. Il me fallait donc être autonome pour deux jours. Cela n’a rien d’exceptionnel en soi, mais il était préférable de l’anticiper sous peine de jeûner pendant les 110 km que j’avais à parcourir…
Kaliningrad, un petit morceau de Russie
Traverser un poste frontière et faire face aux douaniers n’est jamais spécialement plaisant, mais j’ai trouvé celui-ci particulièrement austère. passage de la frontière était assez austère. Ce poste frontière n’autorisant que les piétons, il concerne très essentiellement des Russes vivant en Lituanie comme Konstantin, qui laissent leur voiture avant la frontière pour prendre un bus de l’autre côté. Je pense que mon profil de voyageur à vélo venu pour faire du tourisme ne doit pas être classique.
Après avoir présenté mes papiers et ouvert mes sacoches et mon porte-monnaie côté lituanien, j’ai traversé le pont sur le fleuve Niémen qui marque la frontière entre les deux pays. J’ai ensuite eu affaire aux douaniers russes pour lesquels j’ai de nouveau ouvert toutes mes sacoches. Après des échanges un peu complexes en russe, puisque les douaniers ne parlaient pas un mot d’anglais, j’ai obtenu mon tampon d’entrée pour 16 jours en territoire russe. Mon passage de frontière aura tout de même duré près d’une heure et demie au total alors que j’étais la seule à me présenter face aux douaniers !
En entrant dans la ville de Sovietsk, j’ai tout de suite senti le changement d’ambiance. J’étais en Russie, ça n’avait plus rien à voir avec les Pays Baltes, malgré ce que la géographie pouvait laisser croire. J’ai eu l’impression de faire un bon 40 ans en arrière en voyant les vitrines des magasins ou l’allure des passants (ce qui était beaucoup moins vrai le lendemain, une fois arrivée dans la ville de Kaliningrad). Mais j’étais d’autant plus contente d’être là. Cela me rappelait mon voyage en Russie 8 ans auparavant dont je garde d’excellents souvenirs.
À la sortie de la ville, j’ai d’abord roulé sur une voie rapide très passante, mais pas plus désagréable que celles que j’avais fréquenté en Lituanie ! Les panneaux de circulation sont bilingues, ce qui m’a permis de me (re)familiariser avec l’alphabet cyrillique.
Une trentaine de kilomètres après Sovietsk, je me suis mise à la recherche d’un lieu pour bivouaquer. Il n’y avait pas de camping dans le coin et je n’avais de toute manière pas d’argent pour le payer. Ne trouvant pas de terrain public adéquat, je me suis résolue à planter ma tente dans un champ. Celui-ci était coupé ras et j’ai pensé que le fermier ne devrait pas y revenir tout de suite. Mais une heure après m’être installée, alors que je m’apprêtais à faire cuire des pâtes, une camionnette est passée dans le champ qui s’avérait être aussi un chemin. Les passagers m’ont regardé, un peu interloqués, mais ne se sont pas arrêtés. J’en ai conclu que l’esprit très individualiste des pays du nord s’appliquait ici aussi : on ne se regarde pas, on ne se voit pas et on s’en porte très bien !
Ma hantise des chiens errants
Le lendemain, j’ai roulé essentiellement sur des routes de campagne pour rejoindre la ville de Kaliningrad, ce qui était beaucoup plus agréable. Sur les bords de routes, il y avait beaucoup de stands devant les maisons vendant les fruits et légumes du potager ou des champignons ramassés dans les sous-bois. J’aurais bien acheté un ou deux fruits mais je n’avais pas encore de roubles.
En passant dans un village, j’ai vu deux chiens miteux déambuler sur la route, j’étais sur mes gardes, j’ai toujours eu peur des chiens, même si j’essaie de travailler sur cette appréhension. Mais ces derniers n’ont même pas semblé me voir, tant mieux. Quelques dizaines de mètres plus loin, ce sont trois chiens qui traversaient le même village. J’’étais un peu plus détendue, mais ça n’a pas empêché l’un d’entre eux de me courser en m’aboyant dessus de manière vraiment agressive.
Quelques jours plus tôt, je m’étais procurée un sifflet à ultrasons supposé les éloigner. Celui-ci n’a eu aucun effet. Au bout d’une ou deux minutes qui m’ont semblé durer une éternité, le cabot, probablement satisfait de m’avoir fait fuir, m’a laissé continuer ma route sans s’en prendre ni à mes mollets ni à mes sacoches. La prochaine fois je testerai une application smartphone qui émet des ultrasons, mais je doute qu’elle soit plus efficace. Après de multiples recherches en ligne, aucune solution ne fait l’unanimité sur ce problème rencontré par tous les voyageurs à vélo. Je n’arrive pas à comprendre ce qui agace à ce point certains chiens chez les cyclistes, mais je vais devoir m’y habituer car dans les Balkans ce sera certainement mon quotidien.
Arrivée dans Kaliningrad : bienvenue dans l’enfer du cycliste
Après avoir roulé tranquillement quelques dizaines de kilomètres sur des routes de campagne (sans compter mon attaque canine), mon arrivée à Kaliningrad a été littéralement horrible. Je me suis retrouvée, sans autre option d’itinéraire possible, sur une voie rapide d’entrée de ville que je qualifie volontiers d’autoroute, avec 4 voire 5 files de voitures et des entrées et sorties de tous les côtés. Alors que je roulais, hyper concentrée, sur le bas côté, une double voie d’insertion est apparue sur ma droite et je me suis retrouvée soudainement au milieu de 5 files de voitures roulant à 110km. J’étais absolument terrorisée par ce qui m’arrivait, ne sachant pas vraiment quoi faire si ce n’est qu’il ne fallait surtout pas m’arrêter.
C’est alors que je me suis faite doubler par une cycliste et ses deux jeunes fils, tous trois équipés de vélos de course, qui m’ont salué en ayant l’air de trouver la situation totalement normale. J’ai bien tenté de les suivre pour créer un peloton, mais ils roulaient trop vite. J’ai donc essayé de faire comme eux, rouler comme si tout était normal, en espérant que les voitures seraient suffisamment prudentes et dès que j’ai pu, j’ai bifurqué vers une sortie. Mon GPS n’en démordait pas, je devais retourner dans cet enfer. Je lui ai tenu tête et moyennant la traversée d’un terrain vague en poussant mon vélo et le passage de quelques marches, j’ai réussi à rejoindre la ville et des rues normales.
Cette fois-ci je n’avais vraiment pas d’autre option, mais j’essaierai, à l’avenir, d’éviter de me retrouver dans de telles situations. J’ai notamment entendu parler de l’arrivée à Istanbul qui semble être un enfer pour le cyclistes également. J’essaierai d’y entrer en bateau, en train ou en bus si c’est possible.
L’accueil merveilleux d’Elena et Vitaly
Après cette arrivée dans Kaliningrad forte en émotions, j’ai rejoint Elena chez elle en fin de journée. Mon hôte a de nombreuses coupes et médailles relative à ses performances cyclistes dans son salon. Elle est très modeste et m’a seulement dit, avec une pointe de nostalgie, qu’avant (la guerre en Ukraine), elle aimait faire des courses cyclistes en Pologne.
Malgré son très faible niveau en anglais, Elena avait une vraie soif de communication et nous avons pu échanger durant 3 jours à l’aide de nos applications de traduction qui se sont avérées être vraiment pratiques.
Le conjoint d’Elena, Vitaly, nous a rejoint et nous avons dîné tous les trois avant de partir faire un tour de la ville à vélo. Avec mes 85 km dans la journée et surtout mes bonnes doses de stress, j’étais déjà bien fatiguée, mais j’ai donné tout ce que j’ai pu pour les suivre en pédalant à un rythme effréné ! Il faisait déjà nuit lorsque nous avons entamé notre sortie, mais ça m’a donné un bon aperçu des visites que je pouvais faire les jours suivants. J’ai été étonnée de voir certains immeubles dans un état de délabrement assez inquiétant, tandis que certains bâtiments sont rutilants. Il y a aussi beaucoup de constructions en cours. Je pense que la Russie finance autant que possible cette enclave pour remédier au déclin de sa population en cours depuis quelques années, alors que sa position est particulièrement stratégique.
Visite de Kaliningrad en bonne compagnie
Le lendemain matin, Vitaly m’a accompagnée pour changer mes euros avant que je dépose ma monture chez un vélociste recommandé et préalablement averti par Elena. Après quelque 8000 km et un seul changement de chaîne, il me semblait pertinent de le confier à un professionnel pour vérifier que je pouvais continuer mon voyage vers le sud de l’Europe sereinement. Nouveau changement de chaîne, de plaquettes de freins, la recommandation de moins huiler ma chaîne pour éviter qu’elle s’encrasse et Yolo était comme neuf !
La ville de Kaliningrad ne m’a pas particulièrement séduite. Son architecture n’a rien d’exceptionnel, ses musées ne sont pas de très grande qualité et n’ont quasiment aucune traduction en anglais. Par ailleurs, Kaliningrad, tout comme Moscou ou Saint-Péterbourg, est entièrement dédiée à la voiture. Le centre-ville est traversé par des routes comportant jusqu’à 4 voies dans chaque sens, auxquelles ont peut ajouter deux voies de tramway. Les piétons doivent traverser les carrefours en empruntant des passages souterrains pour ne pas ralentir le trafic, et les cyclistes aussi ! Mais heureusement, la ville est bien pourvue en espaces verts et lacs, permettant de trouver des lieux de promenade agréables.
Après avoir visité le musée de l’ambre, j’ai rencontré Maria, une amie de Konstantin (croisé à Vilnius) qui avait très envie de me voir et de pratiquer le français. Finalement son français était aussi loin dans sa mémoire que mon russe et nous avons donc échangé en anglais en nous promenant sur les rives de la Pregolia, le fleuve qui traverse la ville.
Nous avons ensuite retrouvé Elena et nous sommes parties toutes les trois, en voiture, à Zelenogradsk, une station balnéaire située à 30km au nord de Kaliningrad. Nous sommes arrivées un peu tard pour le coucher de soleil mais nous avons eu le temps de nous promener sur la plage avant la nuit pour y chercher de l’ambre. L’ambre de la Mer Baltique est une résine végétale fossilisée produite par des conifères il y a environ 44 millions d’années. Elle est essentiellement issue de la mine d’Iantarny, mais il est aussi possible d’en trouver sur la plage, notamment après les tempêtes. Ce jour-là nous sommes reparties bredouilles mais nous avons dîné dans un chouette restaurant et la soirée, grâce à nos applications de traduction, était très sympa.
Ma deuxième journée à Kaliningrad à mal débuté. J’ai voulu changer 60 euros supplémentaires car l’estimation de mes besoins la veille était quelque peu insuffisante. Je me suis donc rendue dans le même bureau de change et ai tendu le billet de 50 euros qu’on m’avait rendu en guise de monnaie la veille. La personne au guichet me l’a alors refusé, au prétexte que c’était un faux ! J’étais verte de rage ! Je n’avais pas pris plus de liquide avec moi et je devais donc de nouveau traverser la ville et affronter son trafic intense pour chercher de nouveaux billets, puis trouver un nouvel endroit pour les changer. Cela me servira de leçon à l’avenir si je dois de nouveau changer des devises, j’irai dans une banque et éviterai les bureaux de change, même si le taux est moins attractif.
Faisant abstraction de cet incident, j’ai profité du reste de ma journée pour continuer à découvrir la cité : visite de la cathédrale orthodoxe, du musée Emmanuel Kant, philosophe originaire de Kaliningrad à l’époque où la ville faisait partie de la Prusse, puis du musée océanographique chaudement recommandé par mon guide touristique. Les deux musées m’ont déçue mais j’ai retrouvé Maria en fin de journée pour partager un verre, ce qui a égayé ma journée. Et pour terminer mon séjour à Kaliningrad, j’ai invité Elena au restaurant. Elle a souhaité me faire découvrir la cuisine caucasienne et nous nous sommes régalées.
Une sortie de Kaliningrad à l’image de l’entrée dans la ville
Un peu échaudée par mon arrivée, j’avais pris soin, la veille de mon départ, de demander à Elena de valider l’itinéraire proposé par mon GPS. Mon hôte l’a rectifié très largement, m’expliquant que celui-ci était très dangereux. Finalement, son conjoint Vitaly a proposé de m’accompagner jusqu’à la sortie de la ville, ce qui me rassurait. Nous avons roulé ensemble une quinzaine de kilomètres avant d’arriver sur des routes de campagne. De nouveau nous avons dû pédaler sur des voies rapides de sortie de ville, avec des voitures roulant à nos côtés à 110 km/h. Mais au moins nous ne nous sommes pas retrouvés au milieu de 5 files de voitures et j’en étais reconnaissante à mon guide du jour !
Tout comme pour entrer dans le territoire, je n’ai pas pu choisir mon poste frontière pour le quitter. J’ai été obligée de me diriger plein sud vers la ville de Bagrationovsk au lieu de partir sud-ouest en direction de la ville de Gdansk en Pologne, ma destination suivante. Avant d’entrer en Pologne, j’ai dépensé mes derniers roubles en m’offrant un déjeuner dans une cafétéria locale puis à l’épicerie avant de passer près de deux heures pour traverser les deux postes frontières successifs suivant un rituel assez similaire à mon entrée 4 jours auparavant. J’ai même trouvé les douaniers russes encore plus tatillons pour la sortie de leur pays que pour l’entrée !
Bigre, Quel épopée. Je ne pensais que tu aurais pu entrer en Russie. Avant que les allemands aient été foutu dehors, la Prusse orientale était magnifique. Dommage que la bagnole soit reine. D’ici 1an 1/2 je compte faire le tour de la mer Baltique en vélo…. Grâce à toi, je prends des notes. Merci
Merci Philippe. Tant mieux si cela peut t’être utile !